Mourir sans chez-soi, mourir deux fois
- 10 minsIl y a bientôt 10 ans, je publiais Biennale Économique de Rennes 2016 : Où nous mènent les nouveaux modèles d’organisation. Le premier billet sur ce blog. En première campagne pour se faire élire président Macron promettait que plus personne ne dormirait à la rue d’ici 2017.
Depuis la misère, la pauvreté, la détresse ont explosées en France.
Une terrible réalité souvent étouffée.
J’ai vécu à la rue et aussi sans chez-soi. Je me suis senti moins visible et moins considéré qu’un mobilier urbain
La France est actuellement aussi dans les mains de personnes qui se préparent à de nouvelles élections : Municipales, Présidentielle, et peut-être législative d’ici là en cas de renversement du gouvernement actuel.
En janvier 2018, Philippe Corcuff publiait « Entre zapping présentiste et trip nostalgique, dans la gauche est-elle en état de mort cérébrale.
Il y a bien plus de petit⋅es genst⋅es qui meurent. Qui meurent deux fois !
En septembre 2025 d’après l’association les petit frères de pauvres 750 000 personnes vivent en situation de mort sociale. C’est en forte augmentation depuis 10 ans et tous les âges sont concernés dès 10 à 12 ans.
- 2 millions de personnes âgées souffrent d’isolement.
 - +42 % de « morts sociales » en 4 ans, +150 % en 8 ans.
 
L’isolement qui nous est imposé est tellement profond et tellement violent qu’il est convenu de parler de mort sociale.
La Fondation pour le Logement des Défavorisés constate une augmentation du nombre de personnes sans domicile d’année en année, passant entre 2023 et 2024 de 330 000 à 350 000 personnes.
Quand vous êtes extrêmement isolé⋅es et/ou à la rue, ou sans chez-soi, il y a peu de monde à venir à vos funérailles. Peut de monde pour se rendre compte de votre seconde disparition, celle-ci définitive et irrévocable.
Chiffres et faits
Le Collectif Les Morts de La Rue (CMDR) organisait le jeudi 30 octobre 2025 une matinée de présentation du rapport épidémiologique « Dénombrer et Décrire : la mortalité des personnes sans chez-soi en France ».
Personne « Sans chez-soi » : toute personne ayant principalement dormi au cours des 3 derniers mois précédant le décès dans un lieu non prévu pour l’habitation et/ou dans une structure d’hébergement.
Lorsque je vivais à la rue je me sentais moins visible et moins important qu’un mobilier urbain.
Le CMDR a recensé 1 022 personnes décédées en 2024 ayant vécu un parcours sans chez-soi, dont 912 personnes sans chez-soi au moment de leur décès. C’est cette année encore un record. Cette augmentation de 16 % par rapport à 2023 s’inscrit dans une tendance continue de hausse depuis 2012, où 413 décès avaient été recensés. Parmi les 912 personnes sans chez-soi décédées :
- 304 vivaient dans la rue (33 %)
 - 243 étaient hébergées (27 %)
 - 365 étaient “probablement sans chez-soi” (40 %)
 
« la précarité individuelle se généralise sous le double effet de la compétition capitaliste et de la dégradation environnementale » (Bernard Formoso 2019, à propos de M. Naeples Dans la détresse. Une anthropologie de la vulnérabilité). Oui Napels, comme Corcuff, un privilégié qui ici s’accorde à écrire sur « comprendre les vies exposées (…) à la violence du monde » (Sandrine Revet 2019).
Pour le CMDR, Les territoires ultramarins sont dans un angle mort persistant.
Les territoires d’Outre-mer enregistrent 38 décès en 2024, un chiffre qui masque une sous-estimation structurelle. Le cyclone Chido qui a frappé Mayotte le 14 décembre 2024 a tragiquement illustré cette invisibilité. Avec 77 % de taux de pauvreté et près d’un tiers de sa population vivant en habitat précaire avant le cyclone, Mayotte concentrait déjà des vulnérabilités extrêmes. Le bilan officiel de 40 mort·e·s apparaît largement sous-évalué au regard de l’ampleur des destructions (2/3 du bâti résidentiel endommagé). Les obstacles au recensement incluent l’invisibilité administrative de nombreuses personnes, les pratiques funéraires hors cadre légal et la défiance vis-à-vis des autorités.
Dans ce rapport du CMDR, L’Île-de-France concentre à elle seule 338 décès en 2024, soit 37 % du total national. Et dans l’hexagone métropolitain, le CMDR recense 28 décès en Bretagne de personnes sans chez-soi en 2024.
[…] l’année 2024 ayant été particulièrement meurtrière sur ce littoral. L’Auvergne-Rhône- Alpes (63 décès), l’Occitanie (57 décès) et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (52 décès) complètent ce tableau des régions les plus touchées.
Or, il est toujours très difficile de produire de chiffres concernant les personnes tellement invisible que l’on peut parler de mort sociale avant une mort définitive.
L’INSEE, qui n’avait pas fait d’enquête sur les personnes « sans abris » depuis 2012, a lancé une nouvelle étude en avril 2025 qui n’est pas encore aboutie. En 2012, l’INSEE et l’INED estimaient à environ 142 900 le nombre de personnes sans chez-soi sur le territoire français
Les journaux de presse eux font du jeu de chiffres par épisodes avec sensations saisonnières.
À Rennes, plus de 2 000 personnes sans domicile recensées à l’hiver 2022.
Ouest-France, Angélique CLÉRET. Publié le 19/05/2022 à 08h00
En trois ans, le nombre de SDF a doublé à Rennes. Crises sanitaires et du logement, inflation… Les causes sont multiples
Par Kevin Storme, Le Mensuel de Rennes. Le 28 octobre 2023 à 07h46
Pour Aide-Sociale.fr : « des décomptes sont effectués chaque année lors des Nuits de la Solidarité dans de grandes villes de la métropole. Par exemple en 2020, soit avant la crise sanitaire, on dénombrait 1 000 sans-abri à Rennes, 1 600 à Montpellier, 3 600 à Paris… » (Par Chantal Pacôme / Mis à jour le 30 avril 2024).
Selon l’OCDE, la France est très forte en sans-abrisme. 1er pays en chiffre de sans-abris, mis à part la Grande-Bretagne. Ces chiffres ne tiennent pas compte des personnes qui n’ont pas les bons papiers pour exister administrativement en France.
Le sans-abrisme indique non seulement qu’un État ne garantit pas l’accès à un logement sûr, abordable et convenable pour tous, mais il montre également qu’il ne respecte pas de nombreux autres droits humains.
En 2023, le CMDR avait recensé 826 décès de personnes sans chez-soi ou ayant été sans chez-soi. Ce chiffre était en augmentation forte par rapport à 2022, 710 décès. Et c’était 612 personnes en 2018.
Le cas de Rennes
Entre Octobre 2024 et Octobre 2025 à Rennes plus de 50 personnes sont mortes à la rue et / ou dans l’isolement. Ce serait le triple par rapport à 2023 à même date, deux fois le nombre. Ces chiffres ne concordent pas avec ces du CMDR. Pour être plus juste et précis, 54 personnes décédées à Rennes à la rue et dans l’isolement vient du Communiqué de Presse du collectif Dignité Cimetière de Rennes avec :
- 16 étaient sans toit
 - 2 sans structure d’accueil
 - 6 après une longue période de rue avaient accédé à un logement.
 
Je dois remercier Nina Beltram, Coordinatrice Équipe et Antenne Radio CanalB, qui m’a fourni le CP après l’émission 3 en 1 du 24/10/2025.
Un moment leur sera dédié le 31 octobre à 16h30 au cimetière de l’est.
À Rennes depuis le début 2025, 29 personnes décédées sans domicile / précarité d’après le relais fait dans Ouest-France (Pascal SIMON. Publié le 24/10/2025 à 18h14) depuis la campagne annuelle de Dignité cimetière. Une belle mise en histoire de collectif est publiée ici sur ArcGIS StoryMaps.
Comme chaque année à Rennes à la veille de la trêve hivernale, le campement du parc de Maurepas à été évacué, comme chaque année des mineur⋅es isolé⋅es se retrouvent sans solution pérenne et sont déplacé⋅es de force pour être un peu plus invisibilisé⋅es.
Une bataille des chiffres ne fait aucun sens pour faire face au peines et aux deuils. Une bataille des chiffres ne sert pas à expliquer ce qui se passent et ce qui est vécu ni ce qui est de l’ordre de la dignité humaine.
Revenons sur des éléments simples
(NDLR: je digresse ici depuis « La chasse aux chaussettes », Aurore Turbiau, 2024)
La pauvreté et l’isolement extrême explosent à l’intérieur d’un territoire gouverné avec un politique publique basée sur un projet politique.
Le nombre de personnes décédées dans ces conditions augmentent grandement chaque année. Seules quelques nécrologies sont médiatisées.
Histoire de vie : histoire en acte (Jean Dinyendje Longelo, 2012).
Nous n’avons pas les histoires de vie de ces personnes, produite lorsqu’elles sont en vie, décédées dans l’isolement profond. Elles manquent à tous les inventaires. Pourtant, à la fois elles sont importantes pour comprendre l’état des faits, à la fois elles sont nécessaires pour vivre correctement et collectivement en société. Leur étude serait utile au-delà du travail de recherche, et permettrait d’ouvrir une agentivité sur « protection et restitution des droits des personnes en situation de rue ou en risque de le devenir » (Claudia Girola et Valentine de Boisriou, 2018).
La problématique serait ici : la production par les personnes extrêmement isolées d’histoire de vie comme indice de compréhension du fonctionnement relationnel et organisationnel d’un système excluant, invisibilisant, mortifère.
Chambre d’enregistrement du réel, ce regard, par la mise en distance qu’il opère, agit comme un « révélateur », dévoile, met à nu.
Jean Dinyendje Longelo (2012).
Face à la misère, face aux condamnations à la pauvreté qui nous subissons, notre seule issue est de nous unir1
Le film « Jean-Pierre, poète de la rue », qui vit depuis 25 ans dans les rues de Rennes, signé Hugo Murtas et Frédéric Le Guennec. Présenté au Cinéma Arvor à Rennes en début d’année contribue à combler des absences.
Qui cherche la vérité foit être prêt à l’inattendu, car elle est difficile à trouver et, quand on la rencontre, déconcertante.
Héraclite
Bibliographie
- Aurore Turbiau (14 mars 2024). La chasse aux chaussettes : problématiser un sujet de mémoire. Littératures engagées. Consulté le 31 octobre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/w0q8
 - Bernard Formoso, « Michel Naepels, Dans la détresse. Une anthropologie de la vulnérabilité », L’Homme [En ligne], 231-232 . 2019, mis en ligne le 21 novembre 2019, consulté le 30 octobre 2025. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/35858 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lhomme.35858
 - Girola, Claudia, et Valentine de Boisriou. « SDF, sans-abri, immigré, persona en situacion de calle, sans-papiers, clandestin, cartonero ». La diagonale des conflits, édité par Denis Merklen et Étienne Tassin, Éditions de l’IHEAL, 2018, https://doi.org/10.4000/books.iheal.6369.
 - Jean Dinyendje Longelo (2012), p. 23. Le vécu au quotidien et ethnométhodes des ressortissants congolais de r.d.c. en France. Edilivre-Aparis. Collection: Universitaire. 212 pages
 - Revet, S. (2021). Michel Naepels. Dans la détresse. Une anthropologie de la vulnérabilité, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2019. 148 pages. Critique internationale, 91(2), 183-187. https://doi.org/10.3917/crii.091.0186.
 
Notes
-  
Martine le Corre : le combat d’une vie avec les plus pauvres, pour la dignité https://canalb.fr/larene/5689 ↩
 
Merci à toutes les personnes qui soutiennent les efforts par leurs dons
 Xavier Coadic
Human Collider